L’Histoire sans fin de Wolfgang Peterson, Allemagne, 1984, 1h30
Cette séquence, qui survient après la mort d’Artax, le cheval d’Atreyu, constitue un moment essentiel pour la compréhension de la structure narrative du film. Elle marque en effet la première intrusion des émotions et de la volonté de Bastien dans le monde fictif d’Atreyu. Le cri de Bastien interrompt l’interaction entre Morla et Atreyu, qui s’interroge sur l’origine de cette interruption. Ce passage, qui suit une scène particulièrement intense pour le spectateur, apporte une touche d’humour grâce aux éternuements de Morla, mais surtout, il introduit la notion de dualité. Le spectateur commence alors à percevoir Atreyu et Bastien comme des doubles : l’un évolue dans le monde réel, tandis que l’autre évolue dans un univers fantastique. Malgré la distance entre ces deux mondes, les épreuves que rencontrent les deux personnages — le deuil, la mélancolie, la tristesse — sont profondément similaires. Bastien a besoin d’Atreyu pour rêver et s’évader de son quotidien, pour avoir accès à un monde fantastique, tandis qu’Atreyu dépend de Bastien pour donner vie à son récit dans l’esprit du lecteur. Sans la présence de Bastien, sans lecteur, l’histoire perdrait sa vitalité. Cette séquence introduit ainsi une thématique de dualité qui sera centrale tout au long du film, et permet de comprendre que le lecteur intervient dans le récit fantastique, et en est même la clé.
Peau d’âne, Jacques Demy, 1970, France, 1h30
« Réalisme et Merveilleux
Je vois dans le geste de Demy-truqueur un plaisir qui me semble aussi proche que possible de celui de Perrault-conteur, comme si au plaisir que chaque cinéaste (ou peu s’en faut) éprouve à raconter une histoire s’ajoutait un autre plaisir, très enfantin celui-là, celui de transformer à la main ou presque, et accompagné du moins de personnes possible, l’univers dans lequel on a installé son film. Si l’invention de deux palais, l’un tout en rouge (statues vivantes et chevaux compris), l’autre tout en bleu, nous emmène déjà du côté du merveilleux, les trucages nous y plongent. Mais je ne vois pas de plus bel exemple (avec la scène de l’hélicoptère, évoquée plus haut) de cette fusion du réalisme et du merveilleux que dans la séquence chantée – mais ce n’est pas le chant en tant que tel qui ajoute au merveilleux, pour peu qu’on ait vu une ou deux comédies musicales – où Peau d’Âne couverte de sa peau dialogue avec Peau d’Âne vêtue d’une superbe robe, en un champ-contre-champ de type inédit (généralement au cinéma, on ne dialogue pas avec soi-même) sur une tâche (le suivi d’une recette de cuisine) on ne peut plus concrète et réaliste. »
Cahier de notes écrit par Alain Phillipon