le chien jaune de mongolie
Le Chien jaune de Mongolie de Byambasuren Davaa, Mongolie/Allemagne, 2005, 1h33
« Il y a un aspect documentaire. Le film montre des tranches de réalité, les changements d’une culture et la vie quotidienne des nomades. » déclare la réalisatrice.
Cette séquence du Chien Jaune de Mongolie illustre parfaitement son intention de mêler réalité et fiction. D’un côté, le film s’articule autour d’un conte inspiré d’une légende mongole, mettant en avant Nansal, une héroïne de fiction, où de récit d’apprentissage, à la personnalité téméraire et curieuse, qui interroge le monde qui l’entoure tout au long de l’histoire et évolue avec elle. D’un autre côté, le film se concentre sur les gestes quotidiens d’une famille nomade mongole : la garde des troupeaux, la fabrication du fromage, les rites traditionnels, et les interactions entre familles nomades, sans oublier l’habitat. Dans cette séquence prolongée (8 minutes) consacrée au démontage de la yourte, accompagnée de musique traditionnelle, le spectateur a l’occasion d’explorer minutieusement la construction de ces habitations mobiles, illustrant leur conception et leur organisation. Cette architecture singulière évoque la spécificité du mode de vie nomade : une maison qui se monte et se démonte pour s’adapter aux saisons. De plus, les prises de vue aériennes soulignent l’idée de cycle, un motif récurrent tout au long du film, évoquant la réincarnation au cœur de la religion bouddhiste. Ce symbole de la roue se manifeste à plusieurs reprises, notamment à travers la charpente circulaire de la yourte. Cette séquence permet de conserver des traces d’un mode de vie nomade qui est de moins en moins présent en Mongolie, et ainsi d’être témoin d’un changement d’époque.
Nanouk L’Esquimau, de Robert J. Flaherty, États-Unis, France, 1923, 1h18
« Godard raconte : « Quand on lit le récit du tournage de Nanouk de Flaherty, qu’on prend pour un documentaire, on apprend que Flaherty a payé ses Esquimaux, il s’est disputé avec eux, il les a forcés à pêcher du poisson tous les jours alors qu’ils n’en avaient pas envie, bref, il a fait une équipe de cinéma avec eux et ce fut du coup un ethnologue formidable. »
Ces propos anecdotiques laissent entendre que la vérité documentaire ne peut pas s’atteindre par un rapport direct de la caméra à la réalité, rapport toujours illusoire, mais par un travail de cinéma, de mise en scène et de choix qui organise le propos. De fait, si Nanouk l’Esquimau s’attache à retracer la vie des Esquimaux, parfois par des panneaux très didactiques, si Flaherty travaille au plus proche du geste quotidien (la chasse, la construction de l’igloo, la vie familiale, la lutte contre le milieu), enfin si certains plans sont réalisés clairement en prise directe sans travail de mise en scène immédiat (on pense notamment aux visages souriants regardant la caméra), il n’empêche que le travail de fiction n’est jamais loin.
Flaherty, par les panneaux qui rythment le film, crée une narration appuyée : dès sa préface, le film est présenté sous l’angle du mythe dont le héros sera le personnage exemplaire de Nanouk, simple, courageux et brave. Le cinéaste construira son film autour de grandes séquences à « suspense », comme il est dit dans une scène de chasse, qui mettent en scène l’homme et sa famille face à une épreuve qui demandera à être combattue : chaque scène devient alors une petite dramaturgie de la lutte (lutte contre le froid, contre le terrain inhospitalier, contre l’abondance blanche qui menace l’estomac des petits Esquimaux, contre le milieu animal) et trouvera sa résolution (la construction d’un igloo, » l’huile de crin » pour l’estomac du petit, la dégustation de la bête chassée…). Bref, le réel est cadré par la narration et chaque scène a sa structure propre de petit épisode comportant situation initiale, élément menaçant ou à combattre et résolution »
Antoine Bertot, article pour le Ciné-Club de Caen